En n ovembre 2019, dans le cadre de la quatrième édition du Festival des Littératures d’Aventures, l’illustrateur français Nicolas Fructus nous a fait l’honneur de sa présence. L’occasion pour la BiLA, en partenariat avec la bibliothèque et le centre culturel de Chênée, d’organiser une belle exposition mettant en avant les œuvres lovecraftiennes de l’auteur. Nous ne pouvions pas le laisser partir sans réaliser avec lui un long entretien revenant sur l’ensemble d’une carrière aussi riche que diversifiée. Véritable touche à tout du fantastique, Nicolas Fructus s’est aussi bien essayé à l’illustration et à la bande dessinée, qu’à l’animation pour la télévision et le cinéma, au jeu vidéo ou encore au jeu de rôle et de plateau. Son parcours témoigne de la vitalité et de la richesse du milieu des industries de l’imaginaire entre la fin du XXe siècle et le début du XXIe.
Alors qu’il signe, dans son style inimitable, la couverture du dernier tome de La Hanse galactique (Le Crépuscule de la Hanse, 21 janvier 2021, Le Bélial’) et que son site-univers, Derio, est lancé depuis quelques mois, découvrez à travers ce portrait le parcours artistique d’une des figures majeures de l’illustration fantastique contemporaine mais aussi tout un pan de l’histoire récente de l’illustration et de l’animation.
Enfance et formation
Né le 24 juin 1970 à Lyon, Nicolas Fructus s’intéresse très tôt au dessin. Vers 10 ans, alors que l’illustration est encore un concept bien abstrait dans l’esprit du jeune garçon, il suit déjà des cours du soir en peinture. Sa professeure d’alors semble repérer chez lui une inflexion naturelle vers les genres de l’imaginaire. Après avoir vu ses premiers dessins, elle lui amène Les six voyages de Lone Sloane de Philippe Druillet. En l’ouvrant sur la page du Drakkar volant, c’est un premier déclic et une première rencontre, fondamentale, avec l’œuvre d’un artiste qui l’influencera durablement.
En 1984, la célèbre école d’art Émile-Cohl ouvre ses portes à Lyon. Elle propose alors des cours du soir. Il n’a que 14 ans à l’époque mais sa mère l’y inscrit : « J’ai fait 2 ans de cours du soir où on faisait du nu, du dessin d’objets, plein de choses. Je trouvais ça marrant ce qu’on faisait mais à l’époque mes motivations, c’était la caricature et l’architecture. » Une formation d’architecte qu’il n’entamera finalement jamais : « Je suis des années 1970 et l’architecture était un domaine sinistré. Lors des rencontres étudiants/professionnels, il y avait chaque fois des architectes qui dégoûtaient de faire ce métier. J’ai suivi bêtement ce conseil, aujourd’hui je le regrette presque. J’aurais dû persévérer. »
Son bac en poche, il rêve alors d’intégrer à temps plein cette prestigieuse, mais onéreuse, école d’art. Sans l’aide de son grand-père, qui, de son vivant, fait un don à la mère du jeune artiste, le rêve ne serait jamais devenu réalité. Durant cette formation, il va forger des amitiés durables autour d’une passion commune : le fantastique. « On était une tablée de 5 étudiants à se promettre de ne faire que du fantastique. On jouait beaucoup aux jeux de rôle même si l’école était assez astreignante puisque c’était 40 heures de cours par semaine plus le boulot en dehors ». Des promesses qu’ils pensent pourtant difficilement réalisables : « On avait des velléités de faire du fantastique mais on ne se disait pas qu’on allait être pro dans ce domaine. Un peu comme la musique, qu’on pratiquait aussi. » Une idée largement confortée par le discours des enseignants : « Ça n’a pas été une mince affaire, après l’architecture, c’était encore un terrain sinistré. Je suis resté à l’école de 1988 à 1991 et les profs n’ont pas cessés de nous dire : « les gars arrêtez le fantastique, ça sert à rien. L’illustration c’est mort. On ne fait plus de couverture et c’est très mal payé. ». Pour eux, le fantastique c’était l’illustration de bouquins de fantastique. Ils étaient d’une génération précédente et ils n’ont pas vu venir la naissance du jeu vidéo, ni le développement du dessin animé, du cinéma et du jeu de rôle. » Seul avis discordant, celui de Philippe Druillet que Nicolas Fructus rencontre pour la première fois en chair et en os à l’école. Invité comme intervenant extérieur, il y reste deux jours pour présenter son travail. S’il est également d’une génération antérieure, le fondateur de Métal Hurlant et des Humanoïdes Associés a déjà un pied dans le futur : « À l’époque, il faisait ses clips avec William Sheller et c’était les premiers clips tout en 3D. Il était naturellement orienté vers le futur. »
Montée sur Paris et premiers travaux
Diplômé en 1991, Nicolas Fructus n’a pas encore d’opportunité professionnelle. Il décide alors de profiter du départ imminent de deux de ses camarades pour tenter sa chance à Paris. Ces derniers, Humbert Chabuel et Pierre-Alain Chartier, partaient alors pour travailler comme designer sur Le Cinquième élément de Luc Besson. « En janvier 1992, ils commencent sur le film et je pars avec eux en collocation, ce qui va être un joyeux bordel pendant 1 an. Pendant qu’ils allaient sur la production de Besson, je démarchais sur Paris et c’est là que j’ai commencé mes premiers boulots d’illustration. » Inutile de faire la fine bouche, ses premières armes, il les fera essentiellement en littérature jeunesse, chez Hachette puis chez Fleurus. Hachette développait alors une collection de romans illustrés destinée à la jeunesse. Chaque volume contenait une quinzaine d’illustrations en noir et blanc. Moins que les couvertures, ce sont surtout ces dernières qu’il réalise.
Le travail n’est pas toujours bien payé mais il peut tout de même réserver quelques belles surprises : « Dans cette collection jeunesse chez Hachette, on a cartonné avec un livre : La Vengeance de la Momie d’Évelyne Brisou-Pellen. En 2017, Hachette m’a recontacté pour me payer des droits qui étaient resté en souffrance pendant 20 ans. Je ne savais même pas qu’il y avait des droits sur les illustrations de ce livre et j’ai dû toucher près de 10.000 €. Ce qui correspond à des centaines de milliers de livres. La couverture était faite par Jean-Michel Nicollet et pendant 20 ans, j’ai cru qu’il y avait des droits sur la couverture mais pas sur les illustrations intérieures. Les contrats à l’époque étaient un peu obscurs et c’est un mec très consciencieux de chez Hachette qui m’a recontacté pour me verser l’argent bloqué depuis 25 ans. Il n’était même pas sûr que c’était bien moi et j’ai fait un selfie avec les illustrations originales pour bien prouver que c’était moi. Toujours aujourd’hui ça continue à se vendre. »
Si ces travaux lui permettent de gagner sa vie et de se faire une place dans le milieu de l’édition, il rêve toujours de vivre du fantastique. Il tente alors d’entrer dans le milieu du jeu de rôle mais arrive trop tard. Son âge d’or, entre 1985 et 1992, est passé et de nombreuses boites mettent la clé sous la porte. C’est finalement Le Cinquième élément de Besson qui va orienter sa carrière future : « Grâce à la production de Besson je suis en connexion avec les designers sur le film : Moebius, Mézières, Hélène Giraud, Sylvain Despretz, Patrice Garcia, Jack Ray, Kamel Tazit, Pierre-Alain Chartier, Chabuel Humbert. » Artistes confirmés ou jeunes espoirs, la production brasse de nombreuses personnes qui comptent ou qui seront amenées à compter dans le petit milieu du fantastique. Mais la production du film n’a qu’un temps et les colocataires se questionnent sur leur avenir. Si les petits boulots s’enchaînent, aucun ne permet vraiment de s’installer durablement. Alors qu’ils vont d’appartements en appartements, vivant entre la location et -un sympathique- squat, Hélène Giraud contacte Nicolas Fructus pour lui soumettre une proposition inattendue : « elle me téléphone en me demandant si je maîtrise un peu le dessin animé parce qu’elle s’est rendu compte qu’il y avait pas mal de demandes dans ce milieu là et elle ne se sentait pas capable d’y travailler. On n’était pas animateurs mais à l’école on avait quand même abordé les bases de l’animation. J’avais quelques connaissances donc. Elle voulait m’envoyer en cheval de Troie dans le milieu. J’y suis allé parce que je n’avais rien à perdre et que je n’avais pas de boulot. » Il obtient une première place chez Chalopin Productions, une boite qui produisait « des gros cartons absolument indigestes, comme Les Bisounours, dans les années 1980-1990 mais qui généraient beaucoup de pognon ». Il est engagé sur une nouvelle série de science-fiction, Le Maître des Bots (ou ZZBots). Il y occupe un poste à siège-éjectable : un contrat d’une semaine renouvelable après évaluation. Grâce à l’aide de quelques copains qui avaient un peu d’expérience dans le domaine, il arrive à passer ce premier cap et est prolongé d’un mois. Il profite alors de l’occasion pour essayer de faire rentrer des amis illustrateurs. Le milieu était en plein boum et la boite avait un réel besoin d’animateurs. Hélène Giraud entre alors tout comme ses amis lyonnais. S’il ne cache pas son manque d’intérêt pour les productions sur lesquelles il travaillait (« On faisait vraiment ça pour gagner de l’argent et faire nos armes »), le milieu apparaît comme un véritable vivier de talents. Il y fait notamment la connaissance de Guillaume Ivernel et de Thomas Szabo.
La période jeux vidéo
En 1996, alors qu’il œuvre toujours dans l’animation, Nicolas Fructus ne manque pas de saisir l’opportunité d’investir un nouveau médium : le jeu vidéo. Sous l’impulsion de deux jeunes commerciaux, la société, d’origine slovène, Arxel Tribe vient d’ouvrir une succursale à Paris. À sa tête se trouve Stephen Carrière. Fils de l’éditrice Anne Carrière, il décide de se lancer dans l’industrie vidéoludique. Comme sa mère publiait Paulo Coehlo, le jeune homme a l’idée de créer un jeu autour du roman Le pèlerin de Compostelle. Moebius intervient sur le projet et crée une série d’illustrations de personnages. Sur la base de ces dessins, toute l’exécution graphique du projet reste à faire. C’est là que Nicolas Fructus entre en jeu. Engagé pour un mois, il restera 4 ans chez Arxel Tribe et travaillera sur pas moins de 9 titres. En effet, Moebius se désintéresse largement du projet. Pour Nicolas Fructus, c’est une merveilleuse opportunité : « Pour moi le travail était assez magique car j’avais en charge toute la direction de la production et on essayait de pousser la technologie et le design au maximum. Le jeu, titré Pilgrim : Par le livre et par l’épée, est sorti en 1997. Moi je n’ai jamais travaillé en 3D pure d’autant plus que ceux qui travaillaient là-bas étaient vraiment balèzes. Je dirigeais les équipes et j’étais directeur artistique de moi-même car je pondais toute la charte graphique du jeu ». Boîte slovène oblige, il est amené à faire régulièrement des voyages sur place : « J’y allais à peu près tous les deux mois pendant une semaine. Pour rentabiliser la machine, il fallait travailler en 3-8. Quand j’y allais je voyais des équipes jour et nuit. Je dormais par terre dans une salle et je réalisais en plus les dessins qu’il fallait faire en dernière minute à la demande des différentes équipes. Le crunch était déjà bien présent à l’époque. Sauf qu’il se justifiait plus ». En effet, les limites techniques des machines de l’époque conditionnent énormément le travail des artistes et des programmeurs : « On savait qu’il fallait deux journées complètes pour calculer moins d’une minute d’animation. On était à cheval entre la vielle industrie et la modernité. Quand on lançait un calcul d’image, on attendait dix heures avant d’avoir l’image et de voir si on n’avait pas oublié un truc. Et encore, si la machine n’avait pas planté entre-temps. C’était avant que les logiciels de 3D ne tournent sur PC. On travaillait sur Silicon Graphics et on avait un calculateur Onyx quadri-processeur unique en Europe. Il y avait du lourd mais du lourd avec une bonne part d’aléatoire ».
Lorsque Pilgrim sort en 1997, Nicolas Fructus enchaîne directement sur un second jeu. Ce sera Ring, inspiré de la tétralogie de Richard Wagner L’Anneau de Nibelung. Après Moebius, c’est à Philippe Druillet qu’est confiée la vision graphique du projet. Ce choix n’est pas dû au hasard. Le célèbre dessinateur avait dans ses cartons depuis les années 1970 un projet de mise en scène de ces opéras dans un contexte de science-fiction. Une soixantaine de dessins existaient déjà et servent alors de base pour le jeu. Contrairement à Moebius, Philippe Druillet accepte la proposition à condition de pouvoir s’investir complètement dans le développement du jeu. Nicolas Fructus, qui connaissait déjà Philippe Druillet et avec lequel il avait déjà essayé de travailler dans le passé est ravi de cette collaboration, tout comme Druillet : « Lui, il allait alors de mésaventures en mésaventures, et lorsqu’on l’a contacté pour le projet il a dit banco. Là, il a bossé comme un dingue. Il a fait du Druillet quoi. Des immenses formats (Philippe Druillet travaille essentiellement avec des formats dits « grand aigle », à savoir 75 cm sur 1m10) qui étaient ingérables. On utilisait les premiers appareils photos numériques pour montrer le travail de Druillet aux équipes en Slovénie. » Si Nicolas Fructus assure la direction artistique, c’est en étroite collaboration avec Philippe Druillet qui vient régulièrement sur la production : « Il était comme un enfant de dix ans sur la production, comme gêné d’arriver avec ses dessins. Il ne se détendait que quand on lui disait « mais c’est génial ». Alors là, il était parti pendant des heures. C’est un grand parce qu’il avait cette humilité là dans le travail de production de ne se considérer que comme un rouage. » Le jeu sort en 1999.
Après cette sortie, les relations entre Nicolas Fructus et Arxel Tribe vont se dégrader progressivement. Tout d’abord, l’artiste souhaite créer un jeu où il dirige l’ensemble de la direction artistique. De plus, il souhaite que l’entreprise se réoriente vers l’animation : « comme j’avais un peu de parts dans la société, je voulais la réorienter vers autre chose. Les films d’animation étaient en train de se faire connaître avec des boites comme Pixar, des productions en images de synthèse pure. Fin des années 1990, je voulais qu’on arrête le jeu vidéo et qu’on fonce là-dedans. Je sentais qu’on allait perdre en vitesse dans le jeu vidéo, qu’on ne saurait plus suivre les nouvelles technologies mais que si on arrivait à accrocher un domaine où il y a plus de sensibilité et moins de technologie, on pourrait encore tirer notre épingle du jeu ». Si, dans un premier temps, les dirigeants semblent accueillir sa proposition avec enthousiasme, il se rend vite compte qu’elle n’est pas réellement prise au sérieux : « J’ai commencé à développer un projet qui mélangeait des maquettes réelles avec personnages en synthèse incrustés dedans. C’est ce qui deviendra la BD Thorinth. Je commence à développer l’histoire, j’en parle avec la société. Ils me disent : « oui,oui » mais derrière ils développent un autre truc sans me dire qu’ils ne mettront pas un balle sur mon projet. Ils pensaient que je collaborerai encore après ça. J’ai travaillé sur 9 jeux pour eux mais après Casanova, un peu dégoûté, je revends mes parts et je quitte la boite. ». Heureux hasard ou salutaire intuition, un an plus tard, le milieu des nouvelles technologies en France entre dans une zone de turbulence dont la moitié des studios ne se remet pas. C’est le cas d’Arxel Tribe qui met la clé sous la porte en 2003. Regret ? « Je suis persuadé que si on avait pris le virage de l’animation, ça ne se serait pas passé comme ça ».
Les débuts dans la bande dessinée
Ce départ est vécu comme un retour aux sources. Au fil des projets liés à la production, l’artiste avait développé une véritable frustration de ne plus travailler sur des projets personnels où il maîtrise l’ensemble du travail. Il se lance alors dans un rêve qu’il caresse depuis de nombreuses années : faire de la bande dessinée. Il entame la série Thorinth et signe chez Les Humanoïdes Associés. Très rapidement, il est également engagé pour réaliser les couleurs des albums de Bouncer, une série signée Alejandro Jodorowsky et François Boucq. C’est à cette occasion que Jodorowsky découvre son travail : « Il passait chez moi pour venir voir les planches couleurs de la BD. Je lui ai montré mon boulot. Il était vachement intéressé. Lui il avait des scénarios, notamment Showman Killer qui devait revenir à Juan Giménez après avoir travaillé sur La Caste des Méta-Barons. Giménez préfère faire ses propres albums et refuse Showman Killer. Il se trouve que les Humanoïdes Associés ont vendu des scénarios à Delcourt pour apurer les comptes de droits pas reversés à Jodorowsky. Showman Killer, parmi d’autres, se retrouve chez Delcourt et la maison me contacte sans savoir que je connaissais Jodorowsky et que j’avais fait des tests pour les Humano sur ce scénario qui avaient été refusés. Tout ça s’est enchaîné assez facilement. » Mais alors qu’il pense enfin pouvoir se consacrer pleinement à ce nouveau métier de dessinateur de BD, le milieu de la production le rattrape avec une proposition qu’il ne peut refuser.
Le retour à la production
« En 2002, j’ai fini le tome 1 de Thorinth, je travaille les couleurs de Bouncer et je suis de plus en plus appelé par le milieu du jeu de société qui est en train de se développer. Et là, coup de téléphone d’un ami d’Emile Cohl qui me dit : « avec Patrice Garcia, on commence Arthur et les Minimoys. » Ils me proposent de monter dans le projet. J’ai pris le temps de réfléchir parce que je venais justement de quitter la production pour me consacrer à mon travail et je me dis : « qu’est-ce que je vais aller m’emmerder à retourner dans la production ? ». Pourquoi dès lors changer d’avis ? : « En gros, en France s’il y a une personne avec qui on peut collaborer et qui est susceptible d’avoir un vrai gros développement et des financements, c’est Luc Besson. Il n’y a que lui. Je me suis dit : « ne soyons pas bête, on ne va pas te le proposer deux fois ». Du coup, j’ai fait double boulot pendant pas mal d’années. Je suis resté dessus de 2002 à 2008. » Une expérience qu’il qualifie d’« à la fois géniale et douloureuse ». Géniale car la marge créative est vaste : « on avait une liberté totale sur pas mal de choses : notamment de développer des bêtises, de les développer jusqu’au bout et d’essayer de les vendre à Besson qui était notre seul validateur officiel. » Revers de la médaille, le moindre désir du réalisateur devait être respecté et si la direction artistique était assurée par Philippe Rouchier et Patrice Garcia (par ailleurs, à l’origine du projet), c’est tout de même Besson qui avait systématiquement le dernier mot. Une situation qui pouvait engendrer quelques frustrations : « Tu fais tout dans les tons ocres et quand Besson arrive et qu’il dit : « non, je veux tout bleu » ben tout le monde fait tout bleu et tu jettes 6 mois de travail à la poubelle ». Malgré ces inévitables frustrations et une fin de collaboration pour le moins malheureuse (Nicolas Fructus et les autres designers du projet ont été en procès avec la boite de Besson pendant près de 10 ans après la production de la trilogie), l’artiste tire un bilan positif de cette expérience : « Malgré tout, c’est plein de bon souvenirs. Notamment d’un point de vue graphique, on est allé assez loin. On a testé plein de choses parce que les maquettistes et les mecs qui bossaient sur les images de synthèse devaient travailler sur des images le plus proche possible du résultat final. Ça nous a obligé à pousser notre travail dans ses moindres retranchements et on pouvait passer des semaines à peaufiner une seule image. Ça, ce sont des pratiques que l’on n’a pas du tout habituellement dans la production et qui étaient très enrichissantes. ».
Les livres illustrés
En 2007, le dernier tome de Thorinth sort. L’année suivante le travail sur Arthur se termine. Nicolas Fructus enchaîne alors sur les trois tomes de la série Showman Killer et en 2011 se lance dans de nouveaux défis avec la réalisation de son premier livre-monde : Kadath. Via l’entremise de Franck Achard, un ami graphiste avec lequel il collaborera sur l’ensemble de ses livres illustrés, Nicolas Fructus entre en contact avec Frédéric Weil, directeur des éditions Mnémos. Celui-ci avait dans ses cartons un projet de livre-univers consacré à Lovecraft. Franck Achard est alors persuadé que Nicolas Fructus est taillé pour ce travail. « Il n’avait pas encore d’illustrateurs sur le projet. Mnémos signe alors avec moi. Ni moi, ni Raphaël Granier de Cassagnac, qui assurait la direction littéraire du projet, ne savions vraiment comment mener ce projet. Mais on y a mis tellement de cœur et d’énergie que tout s’est fait dans des temps improbables et en parfait accord avec ce qu’on voulait faire. » Une belle collaboration qui ouvre d’autres perspectives puisqu’il enchaîne directement avec deux autres projets pour la même collection (la collection Ouroboros n’accueillait alors qu’un titre, Abyme, consacré à l’univers de Mathieu Gaborit et illustré par Gérard Trignac) : Un an dans les airs, hommage à l’univers de Jules Verne et Jadis, sur la base d’un idée originale. Ces projets lui permettent également d’exposer son travail : « Tout de suite après la sortie de Kadath je suis sollicité pour des expositions. Je fais également dans la foulée l’affiche des Utopiales où s’organise également une exposition derrière. Depuis je fais 4, 5 médiathèques par an. » S’il aimerait encore explorer quelques univers, il consent que l’exercice est limité. En 2011, au cours de la sortie des trois livres , il décide d’ailleurs de tenter sa chance avec un projet très personnel qu’il nourrit depuis de très nombreuses années : « à partir des années 2010-11, je coince Olivier Girard du Bélial’ que je connais depuis la fin des années 1990. Je lui dis que j’ai un projet complètement fou qui serait une série de BD sur un format manga qui ferait 130 pages tout en couleur avec un univers de fantasy que je nourris depuis l’âge de 20 ans. Je lui présente le projet et il me fait : « ben ouais, faisons ça ». Il ne se pose même pas la question. Pourquoi vouloir signer avec Le Bélial’ ? : « J’avais envie de partir avec un éditeur qui n’est pas un éditeur BD mais plutôt de littérature et qui me promet de pas me lâcher en cours de route. C’est un projet que je travaille toujours aujourd’hui mais qui a mûri entre-temps et qui a changé de forme pour s’orienter vers un projet transmédia où il y a de l’écriture, du dessin, de la musique, des cartes. C’est le projet Derio. » Si ce projet n’a pas encore vu le jour, la conversation avec les éditions du Bélial’ n’est pas vaine pour autant : « Olivier Girard veut faire un galop d’essai avant Derio pour voir comment on se positionne sur le marché, peut-être lancer une collection ». Cela tombe bien, quelques années auparavant, l’artiste avait créé une série d’illustrations mêlant photographie et dessin dans un univers lovecraftien sous le titre Mémoire des mondes troubles. Olivier Girard trouvait intéressant de développer un projet « à la manière de Kadath » autour de ces illustrations. « Le problème, c’est que Mémoire des mondes troubles, c’était 15 photographies. Je propose alors de faire des exercices de style autour de Lovecraft. Entre-temps, le Bifrost spécial Lovecraft sort avec une nouvelle de Thomas Day que j’aime beaucoup. On avait notre projet. On décide alors de partir sur trois textes avec trois temporalités différentes et trois approches graphiques différentes. Au final, il faut que les lecteurs soient plongés dans un univers lovecraftien alors que rien n’est de Lovecraft directement. C’est ainsi que naît le projet Gotland. »
Projets futurs
En plus de son travail d’illustration pour des couvertures de romans et, surtout, pour les jeux de société, Nicolas Fructus développe pour l’instant deux grands projets. D’abord Derio : « c’est un projet plutôt médiéval-fantastique avec une forte présence de la magie et une cosmogonie très développée. Je travaille dessus depuis 20 ans. C’est le prochain pari. Essayer de faire vivre cet univers. » Le site, voulu comme une exploration de cet univers en constant développement, est à découvrir ici : www.derio.fr
Le second est un projet de documentaire sur Lovecraft réalisé, en partie, grâce à un financement participatif : « on en discute pas mal avec Gilles Menegaldo car on a une certaine frustration. Il y a pas mal d’études sur Lovecraft mais qui ne touchent pas le grand public et ce qu’on a vu de développé en audiovisuel ne nous a jamais convaincu. D’où l’idée de développer un documentaire avec Marc Charley. Lui il a déjà fait quelques court-métrages notamment sur l’univers de Lovecraft. Il réalisera et je serai directeur artistique parce qu’on a l’idée de créer quelques décors maquette où on pourra balader la caméra. On n’a pas envie de faire de l’habillage inutile mais juste filmer un mec qui parle de Lovecraft, ce n’est pas suffisant non plus. On veut un minimum d’analyse sans percher le discours mais en essayant de soulever un maximum de problématiques littéraires. De voir aussi à travers l’image quelle est l’approche que l’on a de Lovecraft et de montrer pourquoi il est important. Il est très connu mais très mal connu. Dans les intervenants : Nicollet, Druillet, Baranger et moi-même. Avant d’autres. Mais déjà Nicollet et Druillet, ils peuvent parler pendant des heures sur Lovecraft, ils connaissent tout tout tout et ils amènent quelque chose dans l’approche lovecraftienne. Ils ont couvert pas mal de choses. Il y a ces deux-là et aussi Brecchia. Ces trois-là pour moi, ils couvrent Lovecraft. »
Nous ne manquerons pas de suivre avec attention ses prochains projets !