Ce 12 février, nous célébrons le Darwin Day. Situation sanitaire oblige, Réjouisciences et la BiLA ont été contraints de reporter à l’année prochaine la programmation grand public prévue pour l’occasion. La BiLA vous propose néanmoins de découvrir, grâce à l’excellent livre de Philippe Clermont, Darwinisme et littérature de science-fiction, les liens entre théorie de l’évolution et SF. Bonne lecture !
Une théorie révolutionnaire
Publié en 1859, L’origine des espèce de Charles Darwin révolutionne les sciences et la vision du vivant. Pour en résumer les traits les plus saillants, le darwinisme se base sur une série de concepts qui, mis en commun, proposent une théorie générale sur la transformation du vivant. Le principal concept est certainement celui d’évolution. Celui-ci stipule que les espèces ne sont pas figées mais se modifient au fil du temps par la variation. En effet, chez les espèces apparaissent, de manière fortuite, des variations génétiques. En fonction des avantages ou désavantages qu’elles présentent, ces variations vont être plus ou moins favorisées par le milieu naturel : c’est la sélection naturelle. De variations en variations, l’espèce va ainsi évoluer. Sur la base de cette théorie, Darwin postule également que toutes les espèces découlent d’un même ancêtre commun. On comprend le caractère révolutionnaire d’une telle théorie puisqu’elle remet en cause à la fois le créationnisme et l’idée de prééminence de l’Homme sur les autres espèces.
S’il est un genre qui pouvait puiser dans le darwinisme une matière propre à alimenter ses fictions, c’est bien la science-fiction.
Quelques précurseurs
Il ne faut pas attendre longtemps avant de détecter les premières influences du darwinisme en SF puisqu’on en trouve des traces dès la deuxième moitié du XIXe siècle. On ne parle alors pas encore de science-fiction (le terme sera fondé dans les années 1920) mais de merveilleux scientifique. Un genre alors dominé par la figure de Jules Verne. Chez ce dernier, les traits darwinistes sont relativement anecdotiques. Il en est tout autrement chez H. G. Wells et sa Machine à explorer le temps (1895). Dans ce récit, le voyageur explore un futur très éloigné (l’an 802701 pour être précis). Il découvre que l’humanité s’est divisée en deux espèces : les Éloïs et les Morlocks. Les premiers sont des petits êtres chétifs et insouciants, les seconds s’apparentent à des singes albinos et cannibales. Il est intéressant de remarquer que la théorie darwiniste, loin d’inspirer une évolution chez Wells, ce caractérise par une involution qui correspond assez bien à la vision pessimiste de l’humanité défendue par l’auteur dans ce roman. Ce dernier témoigne néanmoins de la diffusion de cette théorie chez un large public puisque Wells n’a pas hésité à en faire l’un des moteurs principaux de son récit.
Il en va de même chez J.H. Rosny Ainé. Cet auteur, d’origine belge, est aujourd’hui largement tombé dans l’oubli. A bien des égards, il est pourtant l’un des principaux fondateurs de la SF moderne. Initiateur des concepts qui bénéficieront d’une résonance sans pareil dans la science-fiction, comme « astronautique » ou « mutant », son œuvre est marquée par la mise en scène de l’altérité. Grand créateur de vies autres, Rosny n’hésite pas à utiliser le darwinisme pour justifier l’existence de certaines de ses créations. Dans Les Profondeurs de Kyamo (1896), un savant découvre une forêt inexplorée et fait la rencontre d’hommes-gorilles présentés comme la « genèse de l’humanité ». Sorte d’état antérieur dans l’histoire de l’évolution humaine, ces hommes-gorilles témoignent également des liens entres humanité et animalité. De même, c’est par le concept darwinien d’adaptabilité que Rosny justifie le développement d’une vue sous-marine chez les humanoïdes de Nymphée ou celui d’un langage articulé chez les oiseaux dans La Mort de la Terre.
Un succès continu
Après ces débuts prometteurs, l’influence du darwinisme se ressentira tout au long de l’histoire de la science-fiction. Parmi les auteurs de la première moitié du XXe siècle, citons Arthur Conan Doyle et son célèbre Monde perdu (1912). Le récit met en scène le Professeur Challenger. Ce personnage haut en couleurs sera le héros de 5 romans du célèbre créateur de Sherlock Holmes. Scientifique colérique et grossier, il est néanmoins présenté comme un spécialiste de l’évolution, signe évident que les théories darwiniennes sont alors bien implantées en Angleterre. Si Le Monde perdu part d’un postulat scientifiquement erroné, Conan Doyle n’en puise pas moins son inspiration chez Darwin : il imagine ainsi un lieu isolé du monde où l’évolution se serait étrangement arrêtée et où cohabiteraient des humains primitifs, des hommes-singes présentés comme le chaînon manquant ou encore des dinosaures. Peu de vraisemblance scientifique ici mais un récit qui inspirera de nombreux autres, aux premiers desquels il faut citer King Kong et, bien entendu, Jurassic Park !
Un terreau fertile : la Hard science-fiction
S’il est un sous-genre de la SF où les théories darwinistes ont pu se développer, c’est certainement dans celui de la Hard science-fiction. Il se caractérise par des intrigues et des univers extrêmement fidèles aux connaissances scientifiques et une recherche poussée de vraisemblance. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le développement de la génétique ouvrira de nombreuses portes à l’imaginaire des auteurs.
C’est le cas de David Brin, un des auteurs phare de la hard SF. Il est notamment l’auteur du cycle Élévation dans lequel les humains, par des techniques d’évolution accélérée et dirigée, développent chez certaines espèces (les dauphins et les chimpanzés) une intelligence élevée et des aptitudes au langage articulé.
Mais la grande figure de hard SF est certainement l’auteur américain Greg Bear. Celui-ci s’intéresse notamment au devenir humain dans une réflexion fidèle aux données évolutionnistes. Il est ainsi l’auteur de deux romans darwiniens : L’échelle de Darwin (1999) et Les enfants de Darwin (2002). Dans ce cycle, l’humanité est confrontée à un virus inscrit dans les gènes de l’humanité mais à l’état de veille depuis des milliers d’années. Lorsque celui-ci se réveille, il se révèle être un puissant vecteur d’évolution pour l’homme. À quoi mènera cette révolution ? À la disparition de l’humanité ? À la création d’une nouvelle espèce, néo-humaine ? Ne dévoilons pas inutilement l’intrigue…
Pour aller plus loin
Ce rapide parcours montre la prégnance du darwinisme et de la théorie de l’évolution dans l’histoire de la SF. Du merveilleux scientifique de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’aux récits de Hard SF contemporains, cette théorie scientifique a accompagné et alimenté l’imaginaire des auteurs de science-fiction. Pour prolonger cette présentation, vous trouverez ici une sélection de romans et une sélection de films qui mêlent science-fiction et évolution. Ces documents, parfois méconnus ou oubliés, sont disponibles à la Bibliothèque des Littératures d’Aventures (BiLA).