Il était une fois le feel-good…

Virginie Grimaldi est « l’autrice préférée des Français » (2022). Chacun de ses romans connait un succès ahurissant, bénéficiant de rééditions au format poche et de traductions dans de nombreuses langues étrangères. Cette autrice incarne un véritable phénomène littéraire qui s’est établi en France ces dernières années : le feel-good.

Ces livres « qui font du bien » proposent des histoires réconfortantes qui mettent en scène des personnages (souvent, des femmes) attachants et réalistes qui, malgré des épreuves douloureuses telles que le deuil, la maladie ou la rupture, parviennent à reprendre gout à la vie. Aujourd’hui, Grimaldi est loin d’être la seule à briller dans la catégorie feel-good : depuis 2015, Aurélie Valognes, Raphaëlle Giordano, Agnès Martin-Lugand, Valérie Perrin, Mélissa Da Costa ou encore Gilles Legardinier ont à leur tour conquis le public français et approché les stars du best-seller tels que Marc Levy et Guillaume Musso.

Comment expliquer le succès, toujours plus considérable depuis 2015, de ce genre contemporain feel-good ? Quels en sont les instruments et les caractéristiques ? Pour comprendre le succès phénoménal du feel-good ainsi que sa place dans le champ littéraire contemporain, nous nous focalisons sur une œuvre-phare du genre, celle de Virginie Grimaldi, Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, parue le 3 mai 2017.

Le genre du feel-good, qu’est-ce que c’est ?

Le genre feel-good s’apparente au phénomène éditorial déjà ancien du roman sentimental, même s’il s’en distingue en touchant un lectorat plus diversifié, et qui ne se cache plus d’en lire. La généalogie générique du feel-good implique plusieurs prédécesseurs qui continuent à exister en parallèle : la romance, qui vise un public féminin vieillissant (avec des autrices comme Françoise Bourdin ou Danielle Steel), le développement personnel, qui a bâti son succès sur les essais et les livres pratiques, mais qui développe une branche fictionnelle depuis les années 2010 (avec Laurent Gounelle), ainsi que la chick lit, apparue au milieu des années 1990 et aujourd’hui un peu passée de mode (Lauren Weisberger, Sophie Kinsella). Il n’en reste pas moins vrai que le marketing éditorial destine le feel-good à un lectorat plutôt féminin.

Les classements des meilleures ventes établis par le magazine professionnel Livres Hebdo ne cessent de prouver le succès du feel-good, tout comme l’émission « Le livre favori des Français », qui a eu lieu en décembre 2022. Le genre serait la réponse au besoin de se sentir mieux éprouvé par une partie du lectorat contemporain qui semble élevée, selon les chiffres de ventes du feel-good. Alors que la crise économique fait rage et que des guerres continuent d’avoir lieu partout dans le monde, jusqu’aux portes de l’Union européenne, les lecteurs, en particulier les lectrices, semblent se tourner vers des romans qui « font du bien », en quelque sorte des livres-recettes qui les aideraient à approcher le bonheur.

Le succès des livres feel-good pourrait donc reposer sur un engouement populaire. Ces livres visent un très grand public et sont par définition conçus et « marketés » pour satisfaire le lectorat de masse. Le succès de Virginie Grimaldi pourrait lui aussi s’expliquer par le fait que ses romans s’adressent à tout le monde, avec des émotions et des sentiments dans lesquels chacun peut se reconnaitre.

Certaines constantes peuvent être relevées au sein de ces livres que l’on regroupe sous l’étiquette feel-good. Souvent écrit par des autrices (citons notamment Virginie Grimaldi, Agnès Ledig, Agnès Martin-Lugand, Valérie Perrin ou encore Mélissa Da Costa) et visant un public plutôt féminin, le feel-good en tant que genre littéraire se caractérise par un réalisme, un investissement dans les personnages, des schémas narratifs et stylistiques assez simples et conventionnels, le tout accompagné de thèmes et de références universels, ou du moins contemporains.

Les histoires feel-good possèdent un message clair, sorte de philosophie de vie, souvent déjà amené par le titre long et évocateur. Citons notamment Les gens heureux lisent et boivent du café d’Agnès Martin-Lugand ou Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une de Raphaëlle Giordano.

Un cas typique

Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie de Virginie Grimaldi est un roman typique du genre feel-good. Le roman feel-good dépeint en général une expérience de vie douloureuse et singulière, vécue et rapportée par une narratrice-protagoniste, qui se résout par l’établissement d’une nouvelle situation personnelle équilibrée, à défaut d’une fin heureuse. L’histoire de Le Parfum du bonheur est plus fort sous la pluie suit ce schéma narratif de l’ombre à la lumière.

Le récit se focalise sur l’héroïne, Pauline, qui tente de récupérer son mari, Ben, qui l’a quittée. Elle retourne vivre chez ses parents avec leur jeune fils de quatre ans, Jules et décide d’envoyer des lettres à son mari pour lui rappeler leurs souvenirs communs. À la trame narrative principale, qui suit la dépression et le chagrin d’amour de Pauline exprimés à travers diverses séances chez le psychologue, s’ajoute l’histoire familiale de l’héroïne. Beaucoup de mystères et de rebondissements se suivent alors que toute la famille part en vacances. Des règlements de compte en tout genre ont lieu sur la base de ces révélations. À la fin du récit, Ben écrit à son tour des lettres à sa femme pour lui rappeler des souvenirs plus douloureux, occultés par l’héroïne, qui ont créé cette distance entre eux, plus particulièrement la perte de leur fille, Ambre. La remémoration de toutes ces difficultés va aider Pauline à les surmonter. Finalement, les époux signent les papiers du divorce et Pauline quitte le havre de ses parents pour emménager dans une nouvelle maison avec son fils.

Même si elle n’a pas pu restaurer sa relation amoureuse, la protagoniste s’est réconciliée avec elle-même, avec sa famille, et a appris à lâcher prise. Le schéma narratif est donc bien celui qui démarre d’un état de vie perturbé, en l’occurrence une dépression à la suite d’une rupture et de la perte d’un enfant, à un état de vie stabilisé, où Pauline reprend gout à la vie. L’histoire se termine avec un certain degré d’espoir et la possibilité de sortir grandi des difficultés initiales : Pauline peut donner du sens à l’expérience qu’elle a vécue. À travers une palette d’émotions, Virginie Grimaldi présente dans ce récit une femme ordinaire qui, le temps d’un roman, doit changer, rater, apprendre, et recommencer. La psychologie des personnages est donc un élément-clé du récit : le récit est centré plutôt sur les sentiments de la protagoniste, plus que sur une action déterminée.

Virginie Grimaldi intègre à ce récit ses talents de dialoguiste et son sens de la « bonne formule » qui transmettent un effet oral et familier à son récit. En outre, le vocabulaire, les constructions de phrases et les figures de style, comme les comparaisons, sont accessibles à tous. L’humour, le soupçon de bons sentiments, la dérision du ton et la simplicité du style semblent être les maitres-mots de l’écrivaine.

Les thèmes que l’on retrouve dans ces histoires feel-good sont, entre autres, le couple (hétérosexuel, issu de la classe moyenne, souvent avec des enfants), la famille, le travail, ou encore l’argent. Dans Le Parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, le thème principal est la rupture de Pauline et de son mari, qui demande le divorce. La question de la maternité est aussi primordiale, et est développée à travers la perte d’un enfant, la difficulté à avoir un enfant et la relation entre un enfant et sa mère. Les thématiques modernes permettent également une immersion fictionnelle : les personnages, le plus souvent des femmes, connaissent des difficultés qui se veulent universelles, ou en tout cas en phase avec leur époque. Le monde que l’on retrouve dans ces récits est toujours vraisemblable et comparable à celui d’un lecteur ou d’une lectrice de la classe moyenne. L’ancrage dans notre société est donc un élément phare des romans feel-good. Dans Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, nous retrouvons des problèmes familiaux (l’alcoolisme du père de l’héroïne, les tensions avec sa mère, sa grand-mère et sa sœur), la question du temps qui passe (les parents qui vieillissent, les enfants qui grandissent vite), celle de l’argent (la représentation de la classe moyenne par Pauline face à sa sœur qui a marié un riche homme d’affaires), et la mort d’un proche. Les valeurs que ce récit met en avant sont très fédératrices : il parle avant tout d’amour, d’amitié, de famille, d’acceptation et d’espoir. Il est néanmoins quelque peu paradoxal de constater l’« universalisme » affiché des valeurs du récit face à l’encrage sociologique des personnages mis en scène par l’autrice, et de Grimaldi elle-même : la réalité socio-culturelle qui est mise en évidence est avant tout féminine et issue de la classe moyenne, comme celle du public visé. En effet, les personnages de l’autrice, à la vie assez commune d’un point de vue sociologique, pourraient être les voisines, les amies, les collègues, les nièces de millions de lectrices.

Aujourd’hui, il est rare de trouver une maison d’édition qui ne publie pas quelques romans grand public, et plus particulièrement du genre feel-good. Parmi celles qui se sont spécialisées dans ce genre, nous pouvons citer les maisons d’édition Charleston, Milady ou Eyrolles, mais même les grandes maisons d’édition comme Michel Lafon, Hachette Romans ou Albin Michel s’intéressent à ce genre.

Une posture d’autrice feel-good

Toujours dans la tentative de comprendre le succès du feel-good, il nous a semblé judicieux de nous intéresser à la posture d’autrice qu’incarne Virginie Grimaldi : à savoir sa façon personnelle d’investir ou d’habiter un rôle ou un statut, celui de l’écrivain.

La posture auctoriale de Virginie Grimaldi se construit à travers ses apparitions publiques, ses discours, ses interviews, le contenu de ses romans et ses engagements extra-littéraires. Dans ceux-ci, Virginie Grimaldi semble principalement incarner la modestie, l’authenticité, la bienveillance et la disponibilité. C’est ce que Meizoz nomme « l’éthos discursif de l’homme simple et sincère » : l’écrivaine travaille à se donner l’image d’une femme ordinaire, semblable à ses lecteurs et surtout à ses lectrices, qui leur dit les choses naturellement, telles qu’elles sont. L’autrice entretient une proximité avec elles lors des séances de dédicaces, mais aussi et surtout sur les réseaux sociaux.

En effet, le rôle des réseaux sociaux est à prendre en compte dans la construction de la posture de l’autrice, qui semble maitriser les codes de l’ère médiatique dont elle fait partie. Grimaldi entretient sa communauté, et en conséquence une relation auteur-lecteur spéciale, sur Facebook et sur Instagram, où elle échange, de façon plaisante, avec les internautes. Elle se confie plus personnellement et partage des fragments de sa vie, principalement des anecdotes du quotidien avec ses amis et sa famille. Les confidences et les moments « intimes » qu’elle publie sur les réseaux sociaux lui permettent de créer son storytelling et laissent à ses lecteurs l’impression de la connaitre intimement.

L’autrice construit également sa posture à travers le choix des valeurs et des thèmes qu’elle intègre à ses romans. Les narratrices deviennent en quelque sorte les intermédiaires entre l’autrice et ses lecteurs. Les romans de Virginie Grimaldi recèlent de nombreuses réflexions morales qui cadrent avec la philosophie de vie de l’écrivaine. Ils évoquent presque tous les thèmes de la sororité, de la sollicitude, de la bienveillance, des liens familiaux forts, de l’amour et de l’amitié.

En outre, la posture de Grimaldi s’établit aussi en fonction de son genre. En effet, elle écrit principalement pour un lectorat féminin, d’où ses romans très empathiques et immersifs. D’après la chercheuse Diana Holmes, sa célébrité est nourrie par la fascination des médias pour les femmes modestes souvent issues de la classe moyenne, sans prétention.

Stratégies de ventes des livres feel-good

Si la réputation de l’auteur et de sa maison d’édition sont des instruments importants du succès, le livre en lui-même et le marketing éditorial qui l’entoure y sont également pour beaucoup. Comprendre les stratégies de vente du feel-good parait primordial pour approcher le genre.

Le livre en tant qu’objet reçoit une attention particulière, notamment à travers le marketing éditorial qui intervient dans sa conception, comme le choix des couvertures et la mise en avant de l’écrivain comme « nom de marque ». En effet, les auteurs des livres feel-good jouent souvent le rôle de garantie pour les lecteurs. Le nom de Grimaldi s’impose comme une étiquette ; c’est ce nom que le lecteur reconnait et qui fait vendre. C’est pour cette raison qu’il apparait en larges lettres sur les couvertures, parfois avec une photographie de l’autrice et le nombre d’exemplaires vendus. Virginie Grimaldi est donc devenue une marque de commerce. La conception de la couverture est elle aussi pensée pour être facilement identifiable et pour renforcer l’identification des lectrices. Les couleurs des couvertures, souvent saturées, avec de forts contrastes, dans la gamme des roses, bleu clair et jaunes, sont supposées porter une connotation féminine.

Le contexte de commercialisation de ces livres a également toute son importance : leur lancement se prépare comme un véritable événement. La publicité massive passe par les affichages publics, mais aussi et surtout par la radio, par Internet et par la participation de l’auteur à la promotion. Le concept d’« auteur-marque » réapparait dans le marketing digital, car la mise en avant de la figure de l’écrivain passe aussi par son implication dans les réseaux sociaux.

Les libraires n’ont pas pu passer à côté du phénomène fulgurant des livres feel-good. Ceux que nous avons interrogés dans le cadre de notre recherche ont affirmé que la part des livres feel-good dans leurs chiffres de ventes n’est pas dédaignable. Qu’ils les apprécient ou non, les libraires savent qu’ils plaisent à leur clientèle sans qu’ils aient besoin de les défendre ou de les promouvoir. Pas besoin de placer les feel-good en vitrine : leur succès est assuré avant même d’entrer en librairie, notamment grâce aux réseaux sociaux.

Qu’en pensent la critique et le public ?

Pour étudier la réception du genre feel-good et des romans de Virginie Grimaldi, nous avons lu un corpus non-exhaustif d’articles publiés à leur propos dans les médias. L’analyse de la réception par les critiques permet de constater que les avis s’opposent : certains critiques applaudissent la sincérité, l’humour ou encore l’écriture sensible et juste de Grimaldi, mais la plupart déplore la caricature de ses personnages, les clichés omniprésents, l’absence de style et l’utilisation trop grossière des émotions.

Nous avons également voulu connaitre l’avis du public. Pour ce faire, nous avons publié deux questionnaires, l’un destiné à des lecteurs ordinaires, l’autre aux « fans » de Grimaldi, qui nous ont permis d’observer de quelle manière le genre feel-good est perçu par le public, et de confirmer la posture auctoriale de Grimaldi.

Le public interrogé, amateur ou non du genre, semble avoir confirmé que les livres feel-good sont des lectures rassurantes et divertissantes, « sans prise de tête », qui se lisent vite, facilement, et dans lesquelles les femmes, surtout, se retrouvent. L’attachement et l’identification aux personnages sont les points qui sont le plus soulignés par les participantes au questionnaire. Globalement, le livre feel-good assure aux lectrices un moment agréable de détente, d’évasion et de déconnexion. Cependant, nombre de lecteurs interrogés émettent des réserves au sujet des livres feel-good, déplorant, entre autres, les clichés de ces histoires simplistes et répétitives, parfois niaises, souvent sans intérêt intellectuel, qui promeuvent une positivité à tout prix. Ces avis contradictoires illustrent la tendance générale du genre à susciter des réactions on ne peut plus tranchées.

En ce qui concerne les fans de Grimaldi, majoritairement des femmes dans la quarantaine, semblent confirmer notre hypothèse de la posture de « l’éthos discursif de [la femme] simple et sincère » qu’incarnerait Virginie Grimaldi. Cette dernière est décrite par ses fans comme une femme tournée vers les autres, une autrice orientée vers ses lecteurs, qui leur dédie volontiers du temps. Grimaldi leur parait faire preuve d’authenticité, non seulement dans la vraie vie, mais aussi dans ses romans. Altruiste, drôle, humble et abordable, Virginie Grimaldi, selon ses fans, est douce, empathique, et aussi positive que les messages et les émotions qu’elle transmet dans ses romans.

Conclusion

L’étiquette feel-good qui enrôle certains auteurs et autrices sous sa bannière reste instable. Il est difficile de juger de la durabilité du phénomène feel-good, concept souvent considéré comme trop englobant. Littérature feel-good, bienveillante, consolatrice ou « pop littérature », peu importe l’étiquette attribuée, le phénomène n’est cependant pas négligeable : l’engouement perdure déjà depuis le milieu des années 2010 et, à en croire les parutions récentes d’autrices comme Virginie Grimaldi, semble toujours d’actualité.

Victoria Demierbe, Prix BiLA 2023

Bibliographie

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