La collection « New Romance » de la maison d’édition Hugo Publishing a fêté en 2023 ses noces d’étain. Souvent réduite à un phénomène de mode tributaire des réseaux sociaux et des plateformes d’écriture en ligne, la New Romance fait souvent l’objet de critiques sévères. La communauté d’autrices et de lectrices qui y est attachée la considère pourtant comme un sous-genre à part entière de la romance. Mais alors, qui a-t-il de « nouveau » dans la New Romance ? Réinvente-t-elle le genre du roman sentimental en proposant une représentation plus réaliste des relations amoureuses pour répondre aux attentes d’une communauté de lectrices ?
Un label vs un genre littéraire ?
En fondant, en 2013, la « New Romance », Hugo Publishing n’a pas seulement lancé une collection, mais a également déposé un nom de marque protégé par un copyright. Cette démarche a permis à l’éditeur de se démarquer avec une collection qui s’est imposée sur le marché du livre grâce à des premiers titres, comme Beautiful Bastard de Christina Lauren en 2013 et After d’Anna Todd en 2015, devenus des best-sellers.
En créant des collections spécialisées et en regroupant des œuvres autour de genres auxquels ils associent des définitions implicites, les éditeurs ont toujours joué un rôle clé dans la définition des genres littéraires. Ainsi, les déclarations des responsables de Hugo Publishing expriment une volonté de s’éloigner des clichés du roman sentimental, du traditionnel couple hétérosexuel composé de l’homme beau et puissant et de la femme virginale et soumise, pour proposer une vision plus contemporaine des relations amoureuses. La New Romance, en proposant de nouveaux codes amoureux, se distinguerait par sa dimension féministe, avec des héroïnes à la personnalité marquée, reflétant les femmes de notre société. Par ailleurs, elle inclurait des scènes de sexe, censées répondre aux fantasmes féminins.
Pour autant, d’après les professionnels de Hugo Publishing, la New Romance s’avérerait être un label intégrant plusieurs genres littéraires, tels que la comédie, la dystopie, le drame psychologique et le mélodrame, comportant une histoire d’amour. Le péritexte éditorial des romans de la collection va, d’ailleurs, dans ce sens. Sur la quatrième de couverture, une indication générique est imprimée en police réduite.
De plus, il faut noter qu’à côté de l’appellation « New Romance » employée par des autrices et des lectrices, gravitent d’autres étiquettes pour nommer des objets de lecture similaires : la « romance contemporaine » ou encore la « New Adult ».
Compte tenu des nombreuses déclarations émises et les diverses étiquettes employées par des professionnels du monde du livre que nous avons relevées, le site d’écriture, pensé en 2015 par Hugo Publishing sur le modèle d’un réseau social, Fyctia, a été consulté afin de mieux cerner la New Romance. Celle-ci y est définie comme un sous-genre littéraire qui a pour objectif de proposer une vision moderne et réaliste des relations amoureuses. En plus d’éprouver du plaisir à la lecture d’une histoire d’amour, les lectrices pourraient ainsi plus facilement s’identifier aux personnages et se sentir proches d’eux en raison des événements qu’ils rencontrent. Quelques caractéristiques essentielles du sous-genre sont également citées dans cette définition sur Fyctia : la focalisation interne, les obstacles au bonheur amoureux, la diversité des sujets abordés, ainsi que les « veines » (milieu où se passe l’histoire) et les schémas narratifs (parfois désignés par les autrices et lectrices sous le terme anglophone de « tropes » pour indiquer la nature de la relation entre les protagonistes, de ses fondations à son évolution).
La New Romance : un roman d’amour ou un roman sentimental ?
Dans son ouvrage Parlez-moi d’amour, le roman sentimental, des romans grecs aux collections de l’an 2000, Ellen Constans distingue le roman d’amour, relevant de la production sérielle destinée à répondre à la consommation de masse, du roman sentimental comprenant des œuvres reconnues et intégrées à un corpus canonique. Ces deux termes, issus du métalangage des professionnels du livre et des discours critiques, reposent sur une distinction normative, mais désignent en réalité un même genre romanesque qu’à notre initiative, nous nommons « récit amoureux ». Trois motifs constants structurent celui-ci :
- Dans tout récit amoureux, se développe une histoire d’amour… par conséquent, une relation entre des individus.
- Le deuxième motif se matérialise dans la présence de deux protagonistes voués à être en couple à la fin de l’histoire. Dès le début, la lectrice perçoit les prémices de la relation entre les personnages poursuivant ensemble la quête du bonheur amoureux.
- Enfin, le dernier motif concerne le programme narratif du récit amoureux, qui suit une structure prévisible : les personnages se rencontrent ; des obstacles entravent l’épanouissement de leurs sentiments (la phase de disjonctions) ; mais finalement, l’amour triomphe et les protagonistes forment un couple (la conjonction finale).
Ces motifs sont inhérents à la New Romance. Toutefois, faut-il considérer celle-ci comme l’héritière du roman d’amour ou du roman sentimental ?
Dans sa thèse Romance et préjugés : la romance française du XXIe siècle, Mekia Bennama s’appuie sur les réflexions d’Ellen Constans et identifie plusieurs caractéristiques qui permettent de différencier le roman d’amour du roman sentimental. Ces traits concernent à la fois le contenu narratif et la production matérielle des genres.
Industrialisé au XXe siècle au format poche et diffusé de manière régulière, souvent périodique, hebdomadaire ou bimensuelle, le roman d’amour se distingue par son dénouement systématiquement heureux, souvent critiqué pour son manque de réalisme. Son intrigue se concentre, elle, sur l’émergence d’une histoire d’amour, suivant le principe « boy meets girl ». L’autrice du roman d’amour créerait un monde idéalisé, rempli de stéréotypes et de clichés, visant à satisfaire un large public féminin, souvent peu exigeant quant aux sujets traités, à l’intrigue et au style, et ayant une pratique de lecture addictive.
A contrario, le roman sentimental jouit d’une légitimité particulière, s’opposant à la littérature populaire et commerciale. Selon Ellen Constans, il est apprécié par un public ayant un capital culturel élevé et est souvent écrit par des auteurs reconnus, issus de la littérature classique. Son format est soigné, sa publication aléatoire, et son histoire se termine généralement de manière tragique, offrant une vision de l’amour où les protagonistes ne trouvent pas le bonheur escompté. Bien que l’histoire d’amour soit présente, le récit ne s’y limite pas, mais inclut des arcs narratifs variés.
La New Romance ne pourrait-elle donc pas être plutôt considérée comme un autre genre… à savoir la romance ? Mekia Bennama définit la romance comme une combinaison du roman d’amour et du roman sentimental. Ce genre, issu de la tradition anglo-saxonne, a été adopté par les autrices francophones qui ont intégré les codes de la Romance Novel en apportant leur propre touche. Il arbore les mêmes motifs stables que le roman sentimental et le roman d’amour (la rencontre des personnages, les obstacles qu’ils surmontent et leur réconciliation). Toutefois, il semble être le résultat d’une sélection partielle de certains éléments narratifs des deux genres plutôt qu’une combinaison de ces derniers.
La romance se démarque par sa focalisation sur le couple, arborant parfois une dualité des points de vue des protagonistes. Elle permettrait à la lectrice d’accéder davantage aux sentiments et pensées des personnages. Comme le roman d’amour, elle proposerait un dénouement heureux, mais ne reproduirait pas la formule « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » pour offrir une représentation plus moderne du couple, mettant en avant l’égalité des genres et la pluralité des orientations sexuelles. L’autrice de romance chercherait à créer un univers réaliste et contemporain, où les relations amoureuses s’inscrivent dans un cadre identifiable pour la lectrice. Elle explorerait également la sexualité de ses personnages de manière réaliste, intégrant la dimension charnelle dans l’analyse de l’amour. De plus, à l’instar du roman sentimental, la romance présenterait des arcs narratifs secondaires qui enrichiraient l’intrigue principale.
Dans leur ouvrage L’amour comme un roman. Le roman sentimental au Québec, d’hier à aujourd’hui, Marie-Pier Luneau et Jean-Philippe Warren analysent ces transformations notables dans les récits amoureux du XXIe siècle et constatent que, depuis 2000, le genre se décline sous diverses appellations telles que « chick-lit », « New Adult », « homoromance », etc., marquant une segmentation du marché. Une constante dans ces genres ou sous-genres est la levée du tabou sur la sexualité. La romance a évolué sous l’influence du mouvement LGBTQIA+ ; les relations touchent désormais tous les spectres de l’amour. Le plaisir sexuel, et notamment la reconnaissance du plaisir féminin, devient un thème central dans certains récits, où des héroïnes inexpérimentées apprennent à jouir de leur sexualité. Ce phénomène se retrouve sous les termes de « New Adult » et « New Romance », souvent associés négativement à de la « mommy porn » (pornographie pour mamans).
La New Romance, cible des critiques
Les critiques envers le roman sentimental n’ont jamais cessé, et aujourd’hui, certaines de ces attaques ciblent la New Romance. Analyser ces discours permet non seulement de mesurer l’origine et la réception de la New Romance dans le champ littéraire, mais aussi de mettre en perspective les pratiques de lecture des lectrices du genre.
Les critiques se répartissent en trois catégories : idéologiques, esthétiques et économiques. D’une part, la romance est critiquée pour les messages et les représentations qu’elle transmet, ainsi que pour les éléments dont elle est constituée. D’autre part, elle est méprisée pour ses modes de consommation et de production.
Avant tout, le genre de la romance a intégré des scènes sexuelles de plus en plus explicites, amenant certains à qualifier ces récits de littérature pornographique. La New Romance serait alors perçue comme hypersexualisée et présenterait une sexualité hétéronormative, qui effacerait les autres orientations sexuelles et représenterait des corps idéalisés. Elle dépeindrait aussi une vision sexiste du couple et, en particulier, de la femme qui ne trouverait son épanouissement qu’au sein d’une relation et par l’accomplissement sexuel. Elle glorifierait également la domination masculine et la violence envers les femmes, en plus de véhiculer l’idée que l’amour constitue une solution aux souffrances des personnages.
Un aspect très critiqué de la romance, et particulièrement de la New Romance, reste son schéma narratif codifié (comprenant la rencontre des personnages, la phase de disjonctions et la conjonction finale) qui permettrait une lecture aisée pour un public amateur et connaisseur du genre. La répétition de cette structure limiterait l’originalité et la diversité.
Les personnages seraient souvent très similaires, en majorité blancs et hétérosexuels. Les héros correspondraient à l’archétype du « mâle alpha », tandis que les héroïnes incarneraient l’idéal de la féminité, indépendantes mais légèrement naïves.
Par ailleurs, la romance est perçue comme trop simpliste, tant sur les plans stylistique que thématique. Elle n’aborderait que certains sujets, comme l’amour et le sexe, répondant aux attentes d’un lectorat envisagé par les maisons d’édition comme majoritairement jeune, féminin et issu des classes populaires. Elle serait écrite dans un style très direct, à la première personne et au présent, sans complexité, privilégiant la clarté des actions et émotions des personnages.
Non seulement la romance est dévalorisée en raison de ses éléments constitutifs, mais aussi à cause de ses modes de consommation et de production. De nombreuses maisons d’édition se consacrent à la publication de récits amoureux ; et leur nombre ne cesse de croître dans le champ éditorial. Cette prolifération de parutions vise à satisfaire la demande d’un lectorat, mais elle entraînerait une consommation rapide des romans qui serait souvent lus d’une traite par les lectrices avant d’être rapidement remplacés par d’autres romans. Ce phénomène serait facilité par la structure narrative codifiée de la romance, qui assurerait une lecture facile et rapide, adaptée aux attentes du large public.
Un nouveau regard sur la New Romance
Toutefois, les critiques ciblant la romance sont de plus en plus nuancées par des avis favorables. La simplicité d’écriture, loin d’être un défaut, permettrait à certains textes d’atteindre un public peu habitué aux pratiques de lecture. Par ailleurs, les personnages non conformes aux stéréotypes de l’homme alpha et de la femme idéale, c’est-à-dire des protagonistes handicapés, racisés ou LGBTQIA+, gagneraient en visibilité. En outre, la New Romance serait l’une des rares littératures à mettre en avant le plaisir féminin, devenant ainsi un moyen pour de nombreuses femmes de s’éduquer sexuellement et de repenser leurs expériences intimes. En définitif, le genre évoluerait en accord avec la société, grâce à ses autrices et lectrices qui participeraient à cette transformation. Par exemple, des livres comme Nos Âmes tourmentées de Morgane Moncomble (qui aborde des sujets tels que le harcèlement et le suicide), The Kiss Quotient de Helen Hoang (avec une héroïne autiste et un héros asiatique) et Ce qu’il reste de nous d’Erika Boyer (qui traite du polyamour) illustrent la manière dont la New Romance peut se renouveler et se montrer innovante.
Rencontre avec les lectrices de New Romance
Le Festival New Romance, fondé par Hugo Publishing en 2016, se révèle être un lieu privilégié pour rencontrer le lectorat de la New Romance. Dans le cadre de la septième édition de cet événement qui s’est tenue à Strasbourg en 2023, réunissant une trentaine d’autrices et plus de trois mille participantes, plus de cinquante participantes ont été consultées, dont vingt-deux ont répondu à un questionnaire en ligne. Les témoignages recueillis sur place et par écrit reflètent des expériences personnelles et ne peuvent être généralisés. Ils tracent néanmoins des voies pour comprendre l’investissement des lectrices de New Romance, leurs pratiques de lecture, les médiations qui les ont conduites à lire ce genre, ainsi que leur réception de ce dernier et des critiques négatives qui lui sont adressées.
De l’affirmation d’une passion à la création d’une communauté
La participation des lectrices au Festival New Romance permet d’analyser leur positionnement en tant que festivalières ainsi que leur attachement au genre. Les réponses des lectrices à la question « Pourquoi avez-vous assisté au Festival New Romance 2023 ? » montrent leur passion pour la New Romance et la manière dont elles revendiquent leur identité de lectrice. Ces dernières, conscientes de la faible légitimité sociale du genre, trouvent dans l’événement littéraire organisé par Hugo Publishing un espace où leurs goûts sont reconnus et validés. Elles y partagent leur attachement à la New Romance avec des autrices et d’autres festivalières et ont le sentiment d’appartenir à une communauté. Elles voient également dans cet événement une opportunité de se détacher des hiérarchies littéraires de valeur et de manifester leur appartenance à une collectivité qui valorise leur genre de lecture. Le festival devient ainsi une plateforme d’affirmation identitaire et d’affiliation à un microcosme littéraire.
L’influence des cercles sociaux ou des réseaux sociaux
Interrogées sur la façon dont elles ont découvert la New Romance, les participantes au festival nous ont révélé avoir été introduites au genre par divers intermédiaires : par les réseaux sociaux, des amis ou des membres de leur famille, ou à travers des livres populaires comme After d’Anna Todd et Jamais plus de Colleen Hoover. En somme, la lecture de la New Romance, comme d’autres genres littéraires, n’est pas seulement une question de goût personnel mais également le fruit d’influences sociales, de médiations culturelles et de choix rendus possibles par des outils comme les réseaux sociaux ou des pratiques familiales et amicales.
La lecture comme source d’évasion, d’émotions, de connaissances…
La question « Pourquoi lisez-vous de la New Romance ? » a été posée aux festivalières pour mieux comprendre leurs pratiques. Certaines d’entre elles utilisent un vocabulaire similaire à celui de l’addiction pour décrire leur relation à la lecture, parlant de « dépendance » ou d’« envoûtement ». D’autres expliquent que la lecture de la New Romance leur procure un effet comparable aux antidépresseurs, soulignant une sorte de dépendance émotionnelle.
Outre cette dimension addictive, la lecture de la New Romance est perçue par certaines comme une forme d’évasion, un moyen de fuir la routine quotidienne. Cette évasion leur permet de rêver, de voyager dans des univers imaginaires, et de s’identifier à des héroïnes qui leur ressemblent.
Pour d’autres lectrices, la New Romance répond à un besoin de compensation émotionnelle. Par exemple, certaines vivent par procuration les émotions vécues par les personnages, allant de la joie à la tristesse.
Enfin, au-delà de l’expérience émotionnelle complète et gratifiante qu’elles recherchent, certaines lectrices sont attirées par les sujets variés abordés dans la New Romance qui enrichiraient leur expérience de lecture en leur offrant à la fois des moments de plaisir et des connaissances nouvelles. Elles acquerraient par la lecture une meilleure connaissance d’elles-mêmes et du monde grâce aux émotions suscitées par les textes, parce que la New Romance traite de thèmes comme le harcèlement, la maltraitance, etc., et leur permet de prendre conscience d’enjeux sociaux.
Finalement, quelques-unes des festivalières ont justifié leur besoin de lire de la New Romance par leur capacité à s’identifier à des personnages vivant des difficultés proches de celles que chacun pourrait rencontrer dans notre société. Ce phénomène d’identification, tant sympathique que cathartique, résulte du traitement de sujets émotionnellement chargés, tels que l’amour ou la mort. Pour les lectrices, la fiction deviendrait un moyen d’éprouver des émotions sans implication réelle, tout en leur permettant de se détacher de la réalité.
Des lectrices conscientes des critiques
Beaucoup de participantes au festival ont vivement rejeté les critiques ciblant le style de la New Romance, soulignant que les romances sont de mieux en mieux écrites et traitent de sujets de société importants. Pour elles, la valeur de leurs romans ne réside pas dans leur complexité stylistique, mais dans les thèmes abordés. Certaines lectrices ont exprimé un point de vue plus nuancé. Bien qu’elles reconnaissent la simplicité stylistique des romances, elles considèrent cela comme une évolution normale de la littérature, comparant ces œuvres à d’autres romans contemporains, populaires et reconnus par l’institution littéraire.
Rappelons-le, la romance est aussi critiquée pour son manque de diversité. De nombreuses participantes au festival admettent que les intrigues semblent répétitives et manquent d’originalité, notamment les histoires de type « campus novel » (romances se déroulant dans un cadre universitaire). Cependant, certaines lectrices nuancent cette critique. En effet, elles considèrent que la répétition de la structure narrative codifiée est inhérente au genre, mais que des différences existent grâce aux autrices qui introduisent dans leurs romans des personnages variés et divers thématiques pertinentes telles que le harcèlement, la maltraitance ou les dépendances. Ces problématiques sociales sont perçues comme des éléments qui ajoutent de la profondeur à l’intrigue et permettent aux lectrices de s’identifier davantage aux personnages.
Par ailleurs, la sexualité dans la New Romance est souvent présente, explorée à travers des aspects émotionnels et/ou physiques de l’amour, parfois de manière explicite, pour offrir une représentation réaliste des relations amoureuses contemporaines. Cependant, elle serait souvent idéalisée et conforme aux normes hétérosexuelles ; ce qui est confirmé par de nombreuses lectrices. Certaines d’entre elles préfèrent que les scènes de sexe nourrissent l’intrigue et la relation amoureuse, plutôt que de se contenter de scènes explicites sans fondement narratif. D’autres soulignent que, même si les scènes de sexe semblent souvent irréalistes, elles apprécient quand même leurs lectures.
Finalement, la définition de la New Romance proposée par le blog de Fyctia, qui présente le genre comme une représentation réaliste des relations contemporaines avec leurs bonheurs et leurs difficultés, a été soumise aux participantes du Festival New Romance. Si certaines lectrices reconnaissent un certain réalisme dans les situations décrites, elles insistent sur le fait que les histoires relèvent de la fiction. Le terme « fantasme » est souvent utilisé dans leurs discours pour marquer la distinction entre réalité et imaginaire, même si elles admettent que la fiction contient « une part de vérité » qui leur permet de s’identifier aux personnages et de s’immerger temporairement dans des mondes imaginaires. Elles reconnaissent l’idéalisation des relations amoureuses propre au genre, en particulier dans la présence quasi systématique d’un dénouement heureux, souvent éloigné de la réalité. Malgré cela, elles apprécient la complexité des rapports amoureux explorés dans la New Romance, avec leurs hauts et leurs bas.
Des relations amoureuses (un peu) plus réalistes ?
Cette représentation plus réaliste des relations amoureuses contemporaines que Hugo Publishing promet dans les romans de sa collection « New Romance » et que confirment les lectrices à demi-mot, peut être confrontée à l’étude de romans à succès du genre comme : Aime-moi, je te fuis de Morgane Moncomble (2018) et Campus Drivers, Supermad de C.S. Quill (2020), tous les deux primés comme « Meilleures New Romance françaises ». Notre analyse s’est appuyée sur les travaux en sociologie de l’amour de Christophe Giraud, de Jean-Claude Kaufmann, de Michel Bozon, d’Eva Illouz, de bell hooks et de Mona Chollet.
Malgré des dénouements généralement heureux, la New Romance réussit, à notre avis, à offrir une vision plus réaliste des relations amoureuses actuelles. Il convient toutefois de préciser que, bien que les romans étudiés se sont aisément prêtés à une analyse sociologique des relations amoureuses, ils ne peuvent pas être considérés comme représentatifs de l’ensemble du catalogue de la collection de Hugo Publishing. Il est probable que d’autres romances suivent des dynamiques relationnelles différentes.
À travers l’étude de deux récits emblématiques du genre, nous avons observé que la New Romance parvient à capturer l’essence de la « jeunesse sexuelle » ou de la « période préconjugale », vécue par des individus âgés de 18 à 30 ans. Elle met en lumière l’influence des contextes sociaux et des environnements, souvent marqués par la recherche de plaisir et la consommation d’alcool, qui favorisent des rencontres éphémères et une approche ludique de la sexualité. Par exemple, dans Aime-moi, je te fuis de Morgane Moncomble, Jason et Zoé se rencontrent dans un bar et font l’expérience d’une aventure d’un soir. Quant aux personnages de C.S. Quill dans Campus Drivers, Lane et Lois, bien qu’ils soient amis et colocataires, ils finissent par flirter et s’embrassent sous l’influence de l’alcool, à une fête.
Les personnages de ces romances vivent des relations multiples, explorant des registres variés tels que les « coups d’un soir », les « plans culs réguliers » ou encore les « amitiés améliorées ».
Également, la New Romance aborde une tendance contemporaine chez les jeunes femmes ayant vécu une rupture ou étant émotionnellement et socialement indisponibles. Dans Campus Drivers, Lois se sent perdue suite à sa rupture avec son premier amour, ne sachant plus qui elle est, célibataire ; tandis que, dans Aime-moi, je te fuis, Zoé multiplie les relations légères de peur de souffrir à nouveau parce que sa première histoire sérieuse s’est conclue de manière tragique par le décès de sa petite-amie.
En choisissant des relations « sérieuses mais légères », les protagonistes adoptent un scénario alternatif à celui des histoires amoureuses classiques, un modèle relationnel qui évolue en fonction de leurs attentes et qui est marqué par des périodes d’incertitude et de remises en question. Lorsque des sentiments amoureux se développent et qu’ils aspirent à une définition plus sérieuse de leur relation, la perspective de « faire couple » prend forme dans les derniers chapitres des récits étudiés, annonçant ainsi un passage vers un engagement plus profond et durable. Ainsi, à la fin de Campus Drivers, Lois préfère garder sa chambre universitaire et s’assurer de l’amour les liant Lane et elle, avant d’envisager la construction d’une vie conjugale dans un logement commun, bien qu’ils aient été auparavant colocataires. De la même manière, dans l’épilogue d’Aime-moi, je te fuis, Jason et Zoé projettent de faire ensemble un tour du monde, après avoir adopté une relation à distance et s’être convaincus de la stabilité de leur couple.
À la différence de l’amour passion, l’amour dans ces romans se présente comme un processus progressif, où l’amitié joue un rôle fondamental dans la construction des relations entre les personnages. Celle-ci se nourrit d’une connaissance mutuelle et d’une intimité qui se construit lentement dans la durée, souvent favorisée par des cercles sociaux communs ou des contextes de cohabitation. Ces relations, tout comme celles que nous vivons, sont dynamiques et marquées par une évaluation constante des attentes initiales, souvent tacites. Les échanges d’informations confidentielles et sensibles, qui se font de manière croissante avec l’instauration de la confiance, sont parfois inégaux, révélant des rapports de force asymétriques. Dans Aime-moi, je te fuis, Jason essaie d’exprimer ses sentiments sans les prononcer à Zoé par le biais d’un CD ou lui confie encore sa crainte de l’abandon, alors que sa partenaire ne s’avère pas émotionnellement prête à lui livrer son passé sentimental et familial. Dans Campus Drivers, le contexte de la colocation favorise évidemment l’émergence de liens profonds et conduit d’ailleurs l’héroïne à inviter Lane dans sa famille pour passer les vacances de Noël. Toutefois, ce dernier ne s’ouvre que tardivement à Lois au sujet de son passé familial et du chagrin que lui a causé la mort de son frère.
La New Romance met également en lumière les inégalités de genre dans les relations amoureuses. Par exemple, les femmes sont souvent jugées pour leur approche de la sexualité détachée des sentiments, une attitude qui est traditionnellement associée aux hommes. Parfois victimes d’une domination affective, elles s’adaptent au comportement émotionnellement détaché de leur partenaire. Après une rupture, elles cultivent souvent une faible estime d’elles-mêmes, ce qui les amène à remettre en question leur propre valeur. Les hommes, quant à eux, subissent la pression sociale d’être sexuellement performants et éprouvent le besoin de prouver leur masculinité à travers leur sexualité.
En conclusion, cette représentation des relations amoureuses dans la New Romance répond aux attentes d’un lectorat en quête d’histoires d’amour contemporaines. Elle s’avère certes un peu plus réaliste, bien que fictionnelle et forcément idéalisée. Les autrices du genre tiennent compte de l’évolution des mœurs et des transformations dans les rapports amoureux de notre société, mettant en scène des pratiques relationnelles actuelles et permettant ainsi à une communauté de lectrices de vivre des phénomènes d’identification lors de leurs expériences de lecture. Elles réinventent la romance qui s’inscrit dans la lignée du roman sentimental et du roman d’amour et qui cultive les mêmes traits définitionnels.
Cet article a pour objectif de résumer les recherches qui ont été réalisées dans le cadre d’un travail de fin d’études intitulé « New Romance et Réalités entrelacées. Genre, communauté de lecture, textes », publié à l’Université de Liège.
Justine Hastir
Pour prolonger, une Bibliographie
quelques titres à découvrir:
- Mia Sheridan, Archer’s Voice ;
- Morgane Moncomble, Viens, on s’aime ;
- Morgane Moncomble, Aime-moi, je te fuis ;
- Morgane Moncomble, Nos âmes tourmentées ;
- Helen Hoang, The Kiss Quotient ;
- Brittainy C. Cherry, Landon & Shay ;
- Delinda Dane, Stairway Heaven ;
- Laura S. Wild, la saga des Bodyguards ;
- Dahlia Blake, Les Dahlias fleurissent en hiver ;
- Dahlia Blake, Pourvu qu’on ne s’aime jamais ;
- Alex Enrose, Under the Spotlight ;
- C.S. Quill, la Saga des Campus Drivers.